Août

Cap Corse :
entre l'écume et la braise
Samedi 2 août
Deuxième jour au cœur du relief corse. Le plaisir extatique du matin : à l’ouverture de la piscine, faire quelques tours de brasse dans l’étendue calme, le nez au ras du liquide et le regard plongé dans les hauteurs du Golfe de Saint-Florent. La sérénité embrassée, où toutes les composantes de la nature semblent vous offrir leur esthétique harmonie, canalise le meilleur de la vie.

Raph et Alex adorables, fins et longilignes pour pouvoir prendre de la hauteur, goûtent aux étapes respectives de leur âge. Avec ses dix ans, Alex se laisse prendre par l’univers de la lecture, Raph, lui, s’essaye à toutes sortes d’exercices ludiques et (après une période craintive) se débrouille comme un poisson dans l’eau de la piscine et de la mer.
Tentative de réflexion sur la première sous-partie de thèse, le goût de la relation : poussif !
Vers 21h. Canicule revenue qui n’a pas desséché la journée paradisiaque en trois actes : volet dégustation au début du cap corse (charcuterie locale, dos de raire avec mousseline de câpres, assiette de fromages du coin) ; phase culturelle avec la découverte de Nonza et sa tour paolienne sur les
hauteurs ; final ludique sur la plage de Faranole qui cumule tous les attraits. Au retour, avec Like a bridge over trouble water en fond sonore, une moins joyeuse découverte, malheureusement quotidienne, quelques fumées au sommet d’une montagne. La dévastation criminelle continue.

Dimanche 3 août
8h45. Sur les table, chaises et serviettes à l’air, des cendres, reste d’un brasier alentour. Ne me couchant pas très tard, je n’éprouve aucun besoin de prolonger le dodo plus longtemps. Ma BB, elle, se prélasse encore. Moi, sur la terrassa, avec le petit air neuf du matin, doux, qui anime les couleurs du verdoyant au jaune sec, je laisse mes sens capter un peu plus qu’en période urbaine. Finalement, on s’accommode très bien, tant que cela ne nous touche pas directement, des deux mamelles corses dont on n’a que l’écho : incendies et attentats.
23h30. Spectacle terrible et fascinant de l’incendie en cours (débutée hier soir) sur les montagnes jouxtant les gîtes. La noirceur du ciel décuple l’effet des flammes, de cet animal qui dévore tout et grossit par l’effet de ce qu’il engloutit. Avec les jumelles de mon père, on a la sensation d’être aux abords des différents foyers. Le seul impact des trop rares passages de canadairs, dans la journée écoulée, a été de morceler ce qui constituait un front uni, mais la virulence des brasiers réduits demeure et se régénère avec la luxuriance de la nature qui se présente à eux. Heureusement que le vent s’est calmé pour cette nuit. Avec la fumée incommodante, allant jusqu’à voiler le soleil, et le danger immanent d’un développement soudain et meurtrier, le séjour élargit la palette des spectacles offerts, avant la désolation lunaire.

Lundi, journée en petit bateau pneumatique à moteur à la découverte des plus belles plages du désert des Agriates. Voilà qui nous éloignera des foyers dont la fumée commence à prendre à la gorge. Tentons le sommeil avant que le Big Ben du réveil de mon portable résonne à 7h30.

Mardi 5 août
Journée mémorable à bord du Bombard.
Un départ joyeux tous les six nichés dans l’insubmersible d’Alain, loué à Dominique Plaisance, direction les deux grandes plages du désert des Agriates : le Loto et Saleccia. Avec notre moteur six chevaux (un chacun !) maximum autorisé pour les non détenteurs d’un permis bateau, nous nous faisons doubler à grande vitesse par toutes sortes d’embarcations, plus luxueuses les unes que les autres. A chaque croisement ou passage, des vagues plus importantes qu’il faut affronter de face pour éviter les tangages trop importants. Les décors sublimes nous entourent : l’eau d’un bleu à chavirer, les abords sauvages des monts des Agriates, une tour génoise détruite à moitié, un rocher à profil de Sphinx et, enfin, une première plage à se pâmer. Les destinations lointaines à étiquette paradisiaque n’ont rien de plus : le sable blanc, la nature brute au second plan et la transparence turquoise de l’eau salée. Selon les indications données par le personnel du loueur, les deuxième et troisième étendues sableuses devaient être nos destinations, mais nous décidons d’une première pause à ce primeur de beauté côtière, aux rares baigneurs venus pour la plupart via les eaux. La mise en bouche esthétique nous comble, mais nous reprenons rapidement le large pour rejoindre Saleccia (Lotto devant être la halte du retour). L’heure de Bombard annoncée pour parvenir à destination se double largement lorsque nous croyons parvenir à la bonne plage. Curieusement, encore moins de monde (alors que des gros bateaux sont censés déposer quelques dizaines de baigneurs pour la journée) et un littoral sablonneux largement inférieur au kilomètre annoncé. Le site enchanteur, avec vent et vagues, formera notre chute pour le déjeuner.
Au moment d’aborder la côte, quelques vagues inondent le fond du bateau dans lequel traînaient mon appareil photo et ma sacoche avec les deux portables. Premier désagrément : les trois appareils n’ont pas résisté. Un black out complet.

Le Bombard tiré sur la plage, nous vidons le trop plein d’eau en le soulevant par l’avant et les finitions s’opèrent grâce au frizbee. Quelques moments de répit dans ce cadre magnifique, et déjà l’heure du retour s’impose.
Une information délivrée par un baigneur nous laisse circonspects : nous aurions largement dépassé Saleccia. La première aperçue était en réalité et la deuxième et la troisième comptée se situait bien au-delà du projet initial.
En place dans l’embarcation semi pneumatique, avec vent de face et mer à remous, nous entamons le chemin inverse. Au large de Saleccia, le moteur s’arrête : panne sèche. La réserve de secours, bidon de cinq litres visiblement loin d’être rempli, devait, d’après les dires du gars au départ, nous permettre de rallier le port depuis cette plage. En réalité, l’amphibologie du propos fixait la réserve comme un simple appoint. Après l’épreuve du transfert d’essence d’un bidon à l’autre (aucun entonnoir ou bec verseur intégré, évidemment !) sur un fond mouvant, l’angoisse de se demander si cela suffirait.
Alex, joyeux, s’amuse de cette situation, même après une demi-heure, lorsque nous subissons notre second arrêt. Cette fois, plus d’autre solution que d’appeler (avec le seul portable ayant évité le bain de mer) la location Dominique ou de se faire remorquer par quelque âme généreuse. Après l’appel à une sbire de Dominique, qui déclare que cela est une première (avec quasiment un ton de reproche) nous poireautons au gré des mouvements trois quart d’heure. Pour BB (peu rassurée depuis le départ) et moi, la nausée s’annonce croissante. A force d’attendre, nous optons pour faire signe à un gros semi rigide de Dominique location qui passe non loin. Avec ses deux cents chevaux, il peut nous remorquer aisément, en gardant une vitesse raisonnable pour notre radeau Bombard à la dérive. Ce sauvetage improvisé se prolonge jusqu’à la venue, très tardive, des loueurs.
Réaction curieuse de leur part : sans s’inquiéter de notre sort, et encore moins nous faire part de leurs regrets, ils s’étonnent qu’on soit allé aussi loin, nous accusant quasiment de mentir sur le parcours réalisé. Une première anicroche de mauvais augure. Réapprovisionnés en carburant, nous rallions le port avec un déplacement qui me semble un peu poussif.
Soulagés du bon dénouement, il nous faudra subir les reproches du personnel qui s’ingénie à nous charger de toute la responsabilité de cet écueil. Les voix s’échauffent entre papa et quelques sous-fifres. Nous apprenons tout de même deux carences révélatrices d’une suspecte façon de gérer : d’une part une procédure pour baisser complètement le moteur (et avoir la puissance maximale) qui ne nous a jamais été signalée ; d’autre part des réserves d’essence qui ne sont jamais totalement remplies ! De plus en plus curieux. Louer un bateau à la journée sans que l’on puisse effectivement naviguer à temps plein constitue une tromperie sur l’objet du contrat ; ne pas avoir signalé expressément le point limite au-delà duquel le carburant disponible manquerait, et ne pas avoir correctement indiqué les manœuvres à faire caractérisent une grave négligence.
Après la réflexion de la nuit, papa avance une hypothèse qui relève de l’abus de confiance, voire de l’escroquerie : la plupart n’allant pas au-delà de la plage Saleccia alias « Sale à chier » selon le surnom paternel, le Dominique, finalement peu plaisant, ne fournit pas le carburant annoncé et facturé pour grossir les bourses de l’affaire. Se sentant pris en faute, ils ont adopté l’attaque de mauvaise foi. Leur ironie trompeuse a gonflé jusqu’à prétendre qu’une telle mésaventure n’était pas arrivée depuis quinze ans… à un Anglais. Humour peu explosif et de mauvais aloi au regard de la réputation maritime des Britanniques.
Voilà les quelques petites crasses cumulées qui auront épicé la teneur d’une journée prévue de plaisance.
18h25. Depuis la plage vers Nonza, une grosse fumée s’élève au ciel, signe
d’un nouvel embrasement.
De l’actualité corse, à retenir la plaque commémorative de l’assassinat du préfet Erignac brisée par des nationalistes. Une nouvelle provocation contre l’hexagone qui cette fois-ci, heureusement, se limite au symbole.

Mercredi 6 août
Vers 9h. Après trempage dans l’eau minérale, séchage à l’air libre et finitions au séchoir, aucune résurrection technologique : nos deux portables et mon appareil photo ont bien trépassé par le sel. Avoir laissé ces objets sans réelle protection contre l’eau de mer confirme que nous n’avons pas un brin l’esprit marin.
Hier soir, de retour de la plage avant Nonza, un incendie dangereux par sa proximité d’un axe routier important (celui qui fait le tour du cap Corse). Déjà, depuis le sable, nous apercevions une colonne de fumée conséquente et le ballet des canadairs. La route nous a dévoilé l’importance du brasier, avec des flammes ayant dévoré tout un pan de montagne. Au passage de la circulation alternée par les pompiers, le point de départ de l’incendie : encore un criminel, d’origine inconsciente ou volontaire, comme souche du drame écologique.
Ce jour, Alex et Raph au club du gîte, nous allons parcourir le cap Corse en voiture, avec haltes sur quelques plages de notre choix. La chaleur lourde, en ce début de matinée, préfigure une journée au mercure élevé. En espérant ne pas croiser un fou du volant qui assombrirait cette expédition.

Jeudi 7 août
En douceur automobile, le tour du cap Corse, mais dans une chaleur aux
extrêmes. La Corse doit certainement mieux s’apprécier aux saisons intermédiaires, et notamment au printemps. L’absence de précipitations (depuis avril je crois) et le prolongement de la canicule rend, par endroits, le maquis roussâtre de dessèchement. Au cours de ce périple touristique, nous nous affligeons devant des zones considérables devenues noirâtres du sol pelé où seuls quelques cadavres dressés dans une raideur carbonisée, comme surpris dans leur quiétude par les flammes, subsistent. Pour les sites préservés, et heureusement encore très largement majoritaires, une succession de vallées et de sommets, de communes comme perdues en leur sein, et une mer qui entoure le tout, avec son gigantisme imprévisible.
Vers 19h50. Le nationalisme vu depuis une voiture : les panneaux d’indication des localités avec les noms corse et français, ce dernier étant plus ou moins efficacement couvert de peinture noire, barbouillé de rage. Sur un local EDF, au bord de la route vers Saint-Florent, un « Gloria a te Yvan » qu’on ne peut louper. Inoffensives manifestations qui cachent de plus radicales actions.
Pour finir en beauté, ce soir, restaurant au port de Saint-Florent avec une dominante des produits de la mer pour régaler nos papilles.

Samedi 9 août
Après un retard de trois quarts d’heure du NGV, nous avons passé la nuit dans un hôtel à Nice. Organisation déplorable à l’île Rousse, sans aucune indication des procédures et lieu d’embarquement pour les piétons sans automobile. Accroche verbale avec du personnel de la Société Navrante des Cons Maritimes (SNCM) comme je l’ai déclamé en rage. Beaucoup plus calme parcours, sans malaise et un gentil commissaire de bord qui m’a remis une attestation de retard qui, j’espère, nous servira pour la SNCF (et peut-être le remboursement de l’hôtel).
A la découverte de Nice…
13h24. Au coin des rues de Jésus et Sainte Reparate dans la vieille ville pour se restaurer après une ballade amorcée sur la promenade des Anglais et poursuivi dans l’artère verte aux ombrages salutaires pour calmer les dégoulinements de tous pores.
Une ville riche où il semble faire bon vivre et qui présente des façades et des voies aux antipodes de Marseille pour l’entretien et la propreté.


Bilan très positif de la villégiature en Haute Corse, générosité sans conteste de l’invitation, mais un trait de caractère de mon père qui ne s’est pas atténué avec le temps : son côté râleur. La capacité diplomatique d’Anna annihile l’éclatement en engueulade qui se systématisait avec sa première épouse. Idem comme conducteur : lui si fin, intelligent et sensible se laisse submerger par des énervements contre d’autres au comportement qui ne lui convient pas à un instant T ; il aura le même dérapage à T + 1 en étant dans la situation réprouvée auparavant contre ceux qui ne s’harmonisent pas à sa lancée. Des coups de sang amnésiques, en quelque sorte, où seule compte la satisfaction immédiate sans entrave.
17h40. Dans un compartiment direction Avignon, descente à Arles, avec ma BB qui dort et, depuis deux arrêts, une ravissante demoiselle. Aux anges dans un brasier qui devient supportable en pleine course lorsque le vent circule par à-coups bilatéraux. Le retour transitoire à Lyon, dès lundi, s’annonce en ruissellement de sueur.

Lundi 11 août
De retour à Lyon, pour une pause de deux jours. Vers 15 heures, au thermomètre digital avec capteur à l’ombre sur ma fenêtre : 44°6 dehors, 34° dans l’appartement aux stores baissés. Paradoxalement, la Corse figure parmi les endroits les moins chauds de France ; Lyon culmine en tête de l’insupportable surchauffe.
A noter : aucun colis avec le Bon à tirer du Gâchis. Un envoi différé du fait de mon départ signalé à Heïm ou nouvelle entourloupette ? Demain, j’enverrai un courriel pour l’anniversaire et m’inquiéter de la bonne réception du colis posté jeudi soir depuis Saint-Florent, malgré l’erreur de code postal qui a fusionné les châteaux d’O et d’Au. Un PS signalera l’absence du paquet promis…
Nous devrions avoir au moins un portable pour notre escapade germano-néerlandaise : le SAV d’Orange me reprend le modèle hors service mercredi matin et m’en laisse un neuf (la carte SIM ne semble pas atteinte).

Mercredi 13 août
Annulation du voyage en Allemagne et au Pays-Bas. Hier, découverte d’un courriel de Helen (daté du 11 août) m’informant qu’elle ne peut plus nous accueillir. La raison : son nouveau copain a dû quitter plus tôt que prévu son appartement et venir habiter avec elle. La surface de son logement ne permettrait pas une promiscuité à quatre. Elle le sait depuis deux jours (le 9 août donc) mais n’a réagi qu’après réception de mon courriel du 11 lui demandant de me confirmer le maintien de l’invitation. Sa seule solution de remplacement : que l’on paie un hôtel sur place, soit 275 euros pour cinq nuits dans l’établissement le moins cher. Des frais non prévus qui ne nous conviennent pas du tout. Qu’elle n’ait pas proposé autre chose rend sa position suspecte : son ami ne souhaitant pas rencontrer un ex, par exemple. J’aurais apprécié sa franchise et une vraie réactivité plutôt que cette mise au pied du mur. La non fiabilité de sa parole tient de la triste découverte. Je ne crois pas qu’un quelconque lien à distance subsistera à ce sale coup. Une déception humaine de plus ; le catalogue est varié !
Nous ne pouvons faire tant de route pour un séjour de trois-quatre jours en Allemagne ! Encore plus désolé d’entendre Aurélie, qui elle nous attendait sans défaillance, me révéler qu’elle vient d’acheter les victuailles pour notre passage. Effets en chaîne du manquement premier.
J’aurais moi eu à subir un impondérable ne me permettant pas d’honorer une invitation, je n’aurais pas attendu deux jours pour prévenir du changement, et ce par courriel (sans certitude de consultation par le destinataire). J’aurais, au contraire, tout tenté pour joindre par téléphone mes invités. On ne doit pas avoir le même sens de la relation humaine avec la Néerlandaise. Exit donc !

Jeudi 14 août
De retour en Arles après la défection de la néerlandaise. Le couple G. & F., en vacances, nous laisse leur vaste appartement pour dormir. Je sue toujours autant, malgré la légère baisse des températures.
La troupe arlésienne fonctionne toujours à merveille pour l’hospitalité tous azimuts : Fanny & Kevin, Aude & Ben, Romy & Michel et nos hôtes du séjour, autant de couples en amitié avec la sœur de BB qui nous ouvrent leur porte par pure gentillesse.
Ce soir, dîner chez Romy & Michel avec la famille B. : de bons moments en perspective qui se substituent confortablement aux plaisirs potentiels que nous aurions retirés de notre petite villégiature nord européenne.

Vendredi 15 août
Vive discussion sur l’art moderne et ses dérives simplistes et commerciales. Louise en farouche partisane des expériences esthétiques explorées jusqu’au minimalisme le plus suspect pour Romy et moi. Une bonne confrontation argumentative, sans bouderie à la fin.
Eu hier soir Elo au tél. Tout semble aller sauf son rapport aux parents qui critiquent le choix sentimental de leur fille : un petit ami sans une situation financière suffisante, sans charisme convivial… Insupportable pression que j’ai bien connue, à une échelle plus subtile, avec Heïm. La non prise en compte des sentiments d’Elo la braque légitimement. Et la voilà bientôt repartie pour une année d’études sous le toit parental, et avec un père en retraite. Les explosions s’annoncent fréquentes.

Samedi 16 août
A la Paillote d’Arles avec les B., Grace (la sœur du père) et son mari Humphrey venus en visite depuis Sanary. Le couple, aux membres plus qu’octogénaires, se porte à merveille, forme physique et intellectuelle. L’époux, ancien ingénieur, bénéficie d’une confortable retraite qui leur autorise des plaisirs variés en voyages, restaurants…
Suis-je vraiment en capacité intellectuelle de rédiger une thèse ? Il le faudra bien si je ne veux pas me ridiculiser de fait aux yeux de tous. L’été n’aura pas galvanisé l’inspiration de ce côté, ma plume plus préférant le vagabondage littéraire du Journal. La relecture des treize premiers volumes du JL me fournit presque l’alibi d’une piètre motivation à sortir des réflexions qui se tiennent face aux exigences universitaires. De fermes résolutions à la rentrée calmeront, je l’espère, cette tendance défaitiste chez moi.

Dimanche 17 août
Le côtoiement plus prononcé de la famille B. éclaire sur son propre caractère et ma capacité à accepter certains systématismes. L’humour à répétition du château laisse place à quelques dizaines d’anecdotes ou de bons mots qui reviennent à fréquences diverses pour former le décor culturel du groupe, combler un blanc dans la conversation ou relancer un thème abordé. Ces habitudes, qui ne sont pas les vôtres, pourraient très vite former le ciment à critiques, et l’auraient formé rapidement chez moi, il y a seulement cinq ans. Désormais, la qualité humaine prime sur les manifestations extérieures plus ou moins séduisantes.
Moi-même, je dois passer à leurs yeux comme un peu taciturne, décalé dans certains cas, violent du verbe dans l’autre, mais finalement l’intégration se poursuit.
L’immigration familiale a parfois des allures cocasses : hier, le père B. évoque le journal Minute (il est aujourd’hui plutôt de gauche et n’a jamais été d’extrême droite) qu’il a parfois lu, et notamment la caricature de Mauriac avec cette légende, en substance : Dieu a fait l’homme a son image ; on comprend pourquoi il tient à rester invisible ! Allais-je apporter la touche de mon lien pseudo-familial avec ce quotidien et la chronique éditoriale tenue un court temps par Heïm, La moutarde au nez ? Allais-je déclamer mon adhésion d’alors à certaines plumes comme celle de Brigneau ? J’ai préféré la discrétion. Peut-être qu’un jour je révélerai davantage ma différence idéologique.
Dernier jour en Arles, sans turbulence programmée : gueuletons, échanges et plage aux Saintes Maries en fin d’après-midi.

Lundi 18 août
Pas de plage hier avec l’orage pluvieux sur la région et la fraîcheur enfin retrouvée. Nous nous rattraperons à Sanary que nous rejoignons aujourd’hui.
Aide rédactionnelle à Louise pour une lettre adressée à la MACIF qui dénonce la tromperie sur travail prétendument effectué du carrossier CQFD et la courte vue (volontaire ?) de l’expert. La stratégie adoptée, en l’absence de preuves matérielles solides, consiste à entremêler attaques lourdes du CQFD et ironie cinglante captatrice d’attention pour faire prendre conscience à l’organisme qu’il en est la première victime financière. Je prends un certain plaisir à concevoir ces courriers polémiques, déterminés et à charpente semi juridique solide. Reste à attendre l’effet.
Hier soir, verres partagés au bistrot arlésien (place du forum) avec les couples toujours charmants Romy-Michel et Fanny-Kevin.

Mardi 19 août, 0h40
Curieuse coïncidence : sur la route vers Sanary, j’évoque à BB ma seule venue dans cette commune, en 1999 avec Sandre, comme dernières vacances partagées sous des auspices amicales puisque la séparation sentimentale avait été décidée. Je venais de m’installer rue Vauban lorsqu’elle me proposa de l’accompagner une semaine sur la côte varoise dans un studio d’une de ses amies. En parvenant à Sanary et en suivant les indications fournies par Grace nous arrivons (avec une erreur de sens puisque venant de Six-Four et non d’Ollioule) avenue de l’Europe unie. A la vue d’un tronçon de cette voie et d’une boulangerie qui le borde, je reconnais l’alentour du lieu de résidence de ces mini-vacances 99 avec mon ex. En tournant avenue des Prats, la Bastide et ses résidences : la grande pour Humphrey et Grace, la verte pour Sandre. Les deux lieux sont à moins de cent mètres l’un de l’autre. Incroyables retrouvailles avec cet endroit de villégiature.
Adorable hospitalité du couple d’octogénaires dans une forme olympique. Les voir ainsi, après soixante ans de mariage (en 2006), réconcilie avec la vieillesse et l’union maritale.
Pour qu’un Journal conserve une relative attractivité, ne faut-il pas s’exercer à la critique, même sur ses proches, ses familiers de l’instant ou de toujours ? A méditer.

Mercredi 20 août
Visite hier du village médiéval Le Castelet avec ses grappes de commerces à la climatisation bénéfique. Fin d’après-midi, arrêt à la plage de Bonne Grâce : un vent fort accentue la profondeur des vagues pour mon plus juvénile plaisir. Fin de soirée au port de Sanary : déambulation entre les rangées d’artisans dans cette zone rendue piétonne chaque soir ; réservation de quatre couverts à l’Esplanade pour le dîner du lendemain ; arrêt cocktail en plein air au café des Embriers avec en son de fond un groupe de jazz s’essayant avec réussite aux accélérations de Django Reinhardt. Lors de cette dernière étape, longue discussion avec ma BB (splendide dans sa longue robe en lin crème et avec sa brune chevelure en liberté) sur le ressenti des proches familiaux, les zones de contentieux du passé, les secrets gardés. Ces informations intimes ne modifient pas l’appréciation largement positive sur les membres familiaux mais subtilisent le tableau pour mieux comprendre les rapports existants.
Appel d’Aline L. pour me remercier du courriel envoyé avec la photo prise chez Nardonne. En Corse pour ses débuts de vacances, elle sera en séminaire à Arles en octobre, débordant sur le samedi pour découvrir la ville le week-end où malheureusement je serai à Paris. Je demanderai à Louise de lui servir de guide. Moral pétillant, elle vient d’acheter un appartement parisien, situé entre Montmartre et l’Opéra, dans le neuvième arrondissement. Un coup de foudre immobilier qu’elle peut s’autoriser avec une si confortable situation professionnelle. Nous sommes évidemment invités à la pendaison de crémaillère.
Avec ma BB, au marché bric-à-brac de Sanary en fin de matinée, très porté sur le vêtement. Retour au café des Embrières pour deux Monaco, le temps d’échanger sur l’avenir, l’enfant éventuel, le déménagement avec achat d’appartement : une douceur de vivre annoncée.
Aux antipodes, côté sordide, l’attentat de salopards enragés contre la représentation de l’ONU à Bagdad. Rien de bon à venir pour ce bourbier irakien. Le coup d’éclat serait de les laisser se démerder tout seul. Un peu simpliste, mais face à des actes décervelés de ce genre, pas d’hésitation.
18h. De retour de Cassis pour une trempette à Beaugrâce. Impossible de retrouver le joli jardin dans lequel j’avais vagabondé avec Sandre. Très faiblarde mémoire des itinéraires sentimentaux passés.
Sur le retour par autoroute l’historique désordonné des imprudences routières se dessine au fil des kilomètres : les traces de gomme témoignent des trajectoires délétères pour éviter tel autre ou comme signe d’une perte de contrôle du véhicule lancé à vitesse excessive. Ces tracés plus noirs que l’asphalte, tel autant de deuils portés par les voies, forment les restes très discrets du crime des sociétés modernes.

Jeudi 21 août
Dernier jour plein à Sanary : un retour, en très simplifié, dans les lieux visités en 99 avec Sandre (dont le numéro de portable n’aboutit plus). Porquerolles la Grande nous accueille pour quelques heures, avec un premier bain sur la plus longue des plages. Dans les sentiers pour nous y mener, çà et là des détritus de porcs incurables. Toute parcelle accessible au public est marquée par quelques humanoïdes décérébrés qui n’ont même pas l’excuse des nécessités de l’instinct.
Dernier repas partagé avec Grace et Humphrey sur leur terrasse avec une brise agréable. Une texture de vacances qui éloigne un peu plus, dans l’illusion, la fin du compte à rebours de la reprise. La conversation en vagabondage réactif permet d’effleurer ou de culbuter des sujets très variés, et parfois récurrents, comme les défauts de la vie parisienne ; la gentillesse discrète de Louis de Funès dans ses apparitions au Cellier alors que son épouse (une de Maupassant) n’existait que dans la parade méprisante ; la découverte enthousiasmante de certains grands cimetières parisiens ; les tares de l’univers automobilistique…

Mardi 26 août
Et l’on serait encore dans un pays tempéré ? La chaleur de ce soir, et depuis trop longtemps, liquéfie de l’intérieur, fait dégouliner et ramollit cette merde d’écriture ! Si ces excès devaient se banaliser par un dérèglement climatique dû aux activités humaines, nous pourrons oublier le confort… J’écris vraiment n’importe quoi. Aucun intérêt ces poncifs de seconde main.
Cette semaine, accueil de la compagne du frère d’Anna, en quête urgente d’appartement. Très sympathique contact, mais, au deuxième jour, encore plus angoissée face à la raréfaction des offres.

Mercredi 27 août
Mal installé pour écrire, hier soir, j’ai abrégé mes réflexions pseudo universalisantes. Si j’avais retenu la lorgnette de l’anecdote, j’aurais évoqué mon après-midi au bord du lac de la Tête d’Or, dans un coin ombragé. Sur la branche au ras de l’eau d’un arbre couché, le cou d’un canard avec d’un côté un corps flottant et bougeant au gré des vibrations de l’eau, et de l’autre une tête invisible, car plongée sous la surface. Un canard mort, donc. Alors que je tente l’analyse des citations sélectionnées du Journal littéraire sur l’art de la relation, quelques personnes passent, sporadiquement, au bord de l’eau. Pour celles qui aperçoivent le corps du volatile, des réactions diverses et peut-être révélatrices d’un état d’esprit du moment, voire d’un trait profond du caractère : le gamin qui jette quelques pierres pour vérifier l’état de l’animal, la femme qui affirme à son mari qu’il est en train de boire, puis se retourne avec un terrible doute, la mère qui comprend très vite l’état cadavérique du canard et détourne l’attention de ses bambins vers les vivants… Une galerie de portraits qui vaut toutes les analyses psychologiques.
A nouveau, aucun signe de Heïm depuis que je lui ai envoyé livre et carte depuis la Corse pour son anniversaire et que, dans un courriel lui annonçant l’arrivée du paquet avec une erreur de code postal, je lui ai indiqué ne pas avoir reçu le bon à tirer du Gâchis. J’attends, j’attends : une promesse en forme de trompe l’œil ?

Samedi 30 août
Premier jour en dessous des trente degrés depuis longtemps. Cela incite à la rentrée, commencée à un rythme très léger depuis une semaine. Forpro ne me propose plus beaucoup d’heures et, malgré ma thèse, il me faudra trouver d’autres collaborations sous peine d’assèchement financier. Toujours aucun goût pour la carrière alliant ambition et progression. Moins je suis en contact avec l’univers professionnel, plus en phase avec ma nature je me sens. Un matérialisme réduit au minimum vital, un désintérêt profond pour les voyages lointains, réfractaire à l’automobile, je me dispense de nombreux frais. Sans BB et nos perspectives, je pourrais vivre avec très peu.
Eu Sally au tél. hier, qui elle ne lésine pas sur les dépenses. Me remercie de la carte envoyée depuis la Corse, et me raconte ce qui la séduite en Iran, son dernier voyage. Pas un mot, pas une demande de nouvelles concernant BB. Il ne vaut finalement peut-être mieux pas, car à la moindre allusion perfide, je romprai.
A entendre son analyse, un peu manichéenne, en forme d’éloge, de l’Iran au regard de notre pays répandu dans la fange, je ne pouvais réfréner un détachement idéologique. La chape religieuse, si elle maintient la population dans une certaine tenue de vie, m’apparaît d’un archaïsme insupportable favorable aux dérives sanguinaires. Je n’approuve pas pour autant les relâchements occidentaux, dont le je m’en foutisme et la satisfaction à tout prix de ses désirs rongent la civilisation, mais une autre voie que la religieuse pourrait réinstaurer un peu plus d’humilité chez les peuples : une politique laïque bien plus sévère, sans accommodements façon ventre mou et qui contraigne l’individu à un peu moins de parade imbue. Seulement cette direction ne peut se suivre dans l’ornière démocratique où l’on s’embourbe à force de trop lâcher pour tous les corporatismes revendicateurs.

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