Juillet

Mardi 1er juillet
Belle réussite esthétique que la Cathédrale d’images. Une ancienne carrière dont une salle immense, aux arêtes multiples, aux pans gigantesques, est aujourd’hui dédiée aux hommages visuels. Pour cette année, les peintres Bosch (Jérôme et non Victor comme j’ai dû le noter dans ce Journal à propos de la couverture du Gâchis) et Bruegel se partagent les attentions des metteurs en scène de ce lieu insolite. Projection grossissante de leurs œuvres torturées dans une gradation sur la destinée humaine, soulignée par un son adéquat aux prolongements cathédralesques. A chacun de se positionner dans l’espace offert, de diversifier les points de vue, de se mouvoir au rythme des tableaux successifs, de s’arrêter devant l'antre inspirateur où l’image projetée semble ne plus finir. Quand l’art se laisse découvrir hors des postures conventionnelles.
Petite promenade dans les Baux de Provence parfaitement tenus et dont les autochtones commerçants se tiennent prêts à accueillir les touristes dépensiers. De belles pierres blanches, des ruelles charmantes, une église cumulant les Xe, XIIe et XVe siècles dans ses murs, une chapelle des pénitents moins séduisante, et des panoramas ventés, sur le val d’Enfer, impressionnants.
Pour achever cette journée découverte, un groupe de Biskra se produit au musée de l’Arles (et de la Provence) antique(s). Une espèce de biniou à double sorties pour le leader, des percussions diverses. Musique de transe pour certaines festivités, la représentation a comblé mes passions rythmiques. De l’atrium au seuil du musée, les musiciens ne semblaient pas vouloir s’arrêter d’académique façon, et ce pour notre plus grand bonheur.
Le soir, apéritif improvisé chez Louise avec une partie de la troupe du musée. Echange édifiant avec F, cadre du lieu, sur la pléthore de fonctionnaires au conseil général et à la mairie d’Arles.
18h. Découverte du cœur historique d’Avignon. Bien autre chose que Marseille : de l’espace pour circuler, des lieux impeccables, des monuments respectés, en bref une douceur de vie s’exhale de l’ancienne cité des papes.
Pour revenir un instant aux révélations faites sur la gestion d’Arles : lors de l’arrivée au pouvoir municipal d’une équipe communiste, il y a quelques décennies, doublement des employés municipaux avec, pour principe, le paiement des jours de grève. Une incitation à ne rien branler et à tout contester. Bravo les cocos ! Depuis, les habitudes n’ont pas cessé…

Mercredi 2 juillet, 23h50
Notre Premier ministre a le sens de la formule, de l’image choc, de la métaphore scandaleuse, et cela irrite les pâles socialistes. Lorsqu’une opposition n’a plus comme offensive que des réactions de vierge effarouchée par la crudité de certains propos, cela révèle l’impossible alternance, un deuil incomplet de la claque électorale dont les effets secondaires perdurent.
Des réformes fondamentales (qu’on les approuve ou pas) sont en route sur le plan législatif et la clique socialiste, François Hollande en tête, s’adonne à de mesquines réactions faute d’avoir pu mobiliser le pays durablement contre le fond de la politique menée. Je les soupçonne d’appréhender grandement les prochaines échéances électorales et de tenter de plus artificielles stratégies pour déstabiliser la charge gouvernementale.
Retour à Lyon, pour ma seule intervention pédagogique de la semaine demain matin. Sur l’autoroute, radio trafic comme fond sonore pour égrener les accidents et leurs conséquences sur la circulation, le ballet dangereux des poids lourds se doublant les uns les autres, les quelques excités qui placent le dépassement du tiers (notamment et surtout s’il est moins couillu, heu non… cylindré) comme leur priorité existentielle, jusqu’à, parfois, devenir l’assassin avec préméditation via sa clinquante caisse tueuse ! Pitoyable tragédie vulgaire et sanglante de cette civilisation véhiculée…

Samedi 5 juillet
13h45. Face au lac de la Tête d’Or, un parc vide du fait des premiers grands départs estivaux, je viens d’achever la relecture du septième volume du Journal littéraire. Encore six avant de pouvoir songer à la rédaction de cette thèse.
Hier soir, peu avant vingt heures, une information de poids délivrée par l’agence AFP : l’homme le plus recherché de France depuis quatre ans, l’assassin présumé du préfet Erignac, vient d’être arrêté. Les gendarmes du RAID ont cueilli Yvan Colonna dans une bergerie isolée de Haute Corse. Le duo Sarkozy-Raffarin ne pouvait rêver à meilleur soutien de leur politique en Corse, et les esprits de l’île émergeront peut-être nettement du miasme ambiant pour apporter un « oui » net au référendum de ce week-end. La coïncidence arrestation-référendum a fait siffler les oreilles de Mamère qui ne croit pas au hasard. N’empêche, le seul fait de sa capture mérite un coup de chapeau. La concession accordée aux nationalistes par le nouveau statut territorial proposé méritait bien d’obtenir la fin d’une cavale prolongée à la barbe de la République. Peut-être une Corse apaisée lorsque nous découvrirons, pour de plus légers motifs, les beautés de l’île.
Une pensée pour le hors norme Barry White qui vient de s’éteindre, à 58 ans, des suites d’une longue maladie rénale. Quand l’inébranlable physique cache une fragilité extrême. Sa voix d’une profondeur gutturale inégalée vient de céder face aux abysses de la Camarde.
Une douceur d’été revenue à Lyon pour apprécier davantage les rayons. A lire le déséquilibre relationnel de Léautaud avec son amante Le Fléau, je loue la sérénité de mon lien avec BB. Cela n’affadit pas pour autant la complicité qui s’ancre comme une évidence existentielle.

Dimanche 6 juillet
Ma BB encore au labeur alors que je prélasse mes chairs au parc Miribel en compagnie littéraire du huitième volume du Journal. Une étendue pas trop envahie et une eau désertée.

Jeudi 10 juillet
Trop vite ce temps, et des arrêts trop superficiels sur ces pages. L’inspiration se rabougrit.
Le relais de la CGT, celle-ci dépitée d’avoir dû abandonner sur les retraites, constitué de quelques milliers d’intermittents du spectacle, démolit à merveille les festivals phares de l’été. Francofolies, festival d’Avignon, d’arts lyriques d’Aix en Provence… toutes ces machines culturelles anéanties par leur grève. Un suicide au nom de la survie financière : le paradoxe tiraille nombre de ces travailleurs à éclipses, et même lorsqu’ils représentent la majorité pour reprendre la tenue des représentations, comme à Aix, la minorité bruyante terrorise les spectateurs venus. Un sens aigu de la démocratie syndicale ! Que se relèvera-t-il de ces décombres culturels ? Jean-Louis Foulquier, l’acharné passionné fondateur des Francofolies, présentait une mine des plus sombres.

Vendredi 11 juillet
Le tour de France s’est arrêté à Lyon, comme il y a un siècle, et nous partons vers les terres bretonnes. Curieusement, BB n’a jamais aussi bien roulé pour revenir rue Vauban. Le grand bleu du ciel laisse augurer un séjour de délices, affectivement comblé et truffé de petits plaisirs et de doux moments.
Visite de maman et Jean le samedi (ils ont séjourné autour de Quimper) au Cellier pour un premier contact avec la famille de BB.
Nos bagages tiennent du convoi exceptionnel : trois bouteilles des vins de Fontès, un très bon whisky comme cadeau d’anniversaire pour François, le portable pour travailler à la répartition des citations sélectionnées, deux volumes du Journal littéraire, le nécessaire musical et tout le fatras pour l’entretien et l’habillement estival. De ce fait, je laisse ce beau cahier grand format au profit du Manus portable IV de plus légère facture.
Bové goûtera la prison jusqu’aux abords de Noël, après une « grâce au rabais » (selon une expression de son avocat ou d’un membre de la Confédération paysanne) accordée par le chef de l’Etat. Si le bougre avait accepté un aménagement de sa peine avec le J.A.P., il n’aurait pas à faire quémander ses troupes pour une sortie anticipée. Ne veut-il pas apparaître comme le don Quichotte des déviances agricoles et alimentaires ? Alors qu’il assume intégralement les conséquences et non à temps partiel. Curieuse conception de l’engagement en cas contraire.
Ne doutons pas que la couverture médiatique du tintamarre de ses sbires et des sympathisants n’en fera jamais un détenu comme les autres. Cette prison effectuée, il se la revendiquera comme une médaille d’intégrité dans son combat. Quel bel exemple d’opportunisme !

Samedi 12 juillet, 23h50
Quand la douceur de vivre n’obéit à aucun calcul stratégique, à aucun projet de domination des autres, à aucune monomanie de juger le tiers, autant de déviances ancrées comme une seconde nature chez certains et qui rendent le cadre le plus paradisiaque tel un piège malfamé. Une journée au Cellier débarrassée de tous ces avatars délétères dans la relation humaine.
Reste l’essentiel, bon enfant, convivial, complice, qui insuffle ses plus beaux atours à l’affection filiale. A midi, la famille B. reçoit maman et Jean : l’alchimie s’opère dans la générosité de chacun à rendre l’instant délicieux de simplicité. Qu’on est loin des fastes d’autres endroits où ce qui prime est de scruter l’hôte pour mieux stigmatiser ses travers.

Une soirée avec cette famille, et une amie de la maman B., dans la chaleur estivale d’un repas partagé : anecdotes, rires et évocations savoureuses prolongent le dîner de truculente façon. La vivacité du père B. à livrer quelques portraits de son enfance renforce son image de vraie gentillesse paternelle. Pas un soupçon de rapports glauques, hypocrites ou calculateurs. Malgré la myriade de noms inconnus et de références propres, j’ai pu apprécier la texture affective des réminiscences qui s’enchaînaient.
Le dimanche se bretonnisera autour de crêpes avant de lézarder sur une plage de Sainte-Marie pour leur jeunots, et de rejoindre l’étendue sableuse par le chemin des douaniers pour les plus matures.
La chimère éditoriale persiste…

Lundi 14 juillet
La farandole des citations sélectionnées se poursuit au fil de la douzaine de fichiers ouverts pour les sous parties de ma thèse. Un peu chaque matin pour ne pas perdre l’entraînement.
Hier, dégustation de crêpes dignes de la région et passage sur un sable surpeuplé. Ce midi, les anniversaires de François et d’Annette fêtés à domicile, et ce soir, BB et moi visitons ses amis, le couple Laure & Daniel, dans l’attente d’un deuxième enfant, après sept ans de rapports sans contraceptif et, par le mystère biologique, il y a six mois, une tombée enceinte. Pas forcément du meilleur aloi cet événement, au regard de l’activité naissante dans la restauration qui, après un an et une fréquentation en augmentation, ne dégage pas encore la marge nécessaire pour vivre correctement. Les frais fixes d’achat du restaurant canalisent la part financière mensuelle. Il ne faudrait pas que cela assombrisse le moral du couple, car l’essentiel reste dans l’heureuse naissance à venir.
Ma BB réduit progressivement sa consommation journalière de cigarettes : l’arrêt ouvrira la perspective de concevoir un bambin… voilà de l’étape existentielle d’importance !

Mardi 15 juillet
Si le festival des Vieilles Charrues devrait finalement se dérouler, après renoncement des terroristes syndicaux de les achever, moi, je ne mérite pas le prix de coureur sur meules de foin. Au détour d’une promenade improvisée, hier à nuitée au Cellier, nous bifurquons vers l’entrée d’un champ où s’alignent deux rangées de meules façon roues gargantuesques. Ni une, ni deux, François s’élance à l’assaut de cet ensemble champêtre et je sens l’émulation me titiller les gambettes pour le rejoindre au sommet. Parcours calme à l’aller, la gaminerie prend le dessus lorsque j’appelle à la course pour le retour. Selon le principe un-pied-une-meule pour atteindre la vitesse maximum, je parviens premier sans peine, mais trop rapidement au bout de la demi-douzaine de supports : et me voilà élancé dans l’air pour le saut final avec, dans la pénombre, non plus un tapis moelleux, mais le dur plancher des vaches. Une mauvaise réception, un peu trop focalisée sur le talon du pied gauche, et la parenthèse ludique amorce une rentrée claudicante. Après l’application d’un baume Saint-Bernard le bien nommé et la fonte buccale de quelques billes d’Arnica, le temps de la convalescence réparatrice s’impose.
Avant ce piètre exploit, passage avec ma BB chez Laure, Daniel et leur adorable garçon, Erwan, qui, enfin, ne me boude plus. Enceinte de six mois, l’amie de BB s’épanouit malgré le labeur à assumer au restaurant, le temps de trouver une remplaçante au statut viable financièrement pour eux. Indépendants avec cette « affaire » (selon les termes du mari qui ne veut pas parler de restaurant, lui qui a travaillé dans les cuisines d’une brasserie nantaise renommée), installés dans une belle maison familiale (côté Laure) lovée dans son cocon de nature, ils s’attendent à une période difficile après la naissance du deuxième enfant : le moral et l’enthousiasme persistent cependant.
Déconnecté de l’actualité, je parcours ce matin le Ouest France du jour : une synthèse de l’intervention du président, on ne peut plus classique, la triste disparition de Compay Segundo à 95 ans et du saxophoniste King Benny Carter, pour l’essentiel. Pensée, donc, pour ces artistes aux cieux et pour tous les intermittents du spectacle non syndiqués et responsables dans leurs actions revendicatrices.
12h15. Beaucoup plus sordide : texto d’Elo m’annonçant que « Shaïna s’est fait tabasser par son père. Elle a des bleus sur les bras et ne peut plus bouger la tête ». Je dois m’attendre à un appel « si vraiment elle ne peut pas supporter son père ». Nous étions à mille lieues de nous douter de cet état de tension chez la fragile Shaïna. Son hyperféminité, qui peut passer pour de la provocation, aurait-elle poussé son père à cet impardonnable écart ?
La violence envers les femmes, dans le cadre social, conjugal ou filial, m’a toujours révolté au plus haut point. Elle traduit la misère intellectuelle du mâle à cours d’arguments et la médiocrité de l’âme, quel que soit le motif du passage à l’acte. S’il me fallait intervenir pour neutraliser ce père à la dérive, je le ferai sans l’once d’une hésitation et avec le sentiment de rendre service pour sauvegarder la parcelle d’affection filiale qui pourrait l’être.
22h22. Amélioration du talon pied gauche : une marche plus assurée ce soir. Appel de Shaïna à l’apéritif pour me remercier du texto envoyé. Pas la première fois que son père disjoncte. Cinq ans plus tôt, autre excès de violence. Cette fois-ci, alors qu’elle est majeure (même si elle doit vivre à domicile en attendant d’avoir accès à son studio) le motif tient à une rentrée vers quatre heures du matin. Je lui ai proposé un pied à terre d’urgence dans mon appartement si elle a besoin. Ils s’ignorent mutuellement depuis : elle va voir comment évolue la situation et si le risque d’un nouveau dérapage ne se dessine pas. Elle semblait touchée par mes attentions. Espérons qu’elle s’extrait rapidement des pattes impulsives d’un géniteur certainement pétri d’un mélange de jalousie envers les petits copains de la demoiselle, de désirs bassement sexuels refoulés et d’affection inassumée. A suivre donc…

Mercredi 16 juillet
Hier soir, toujours fascinant spectacle des orages de chaleur : les gigantesques flashs illuminant les quatre coins du ciel, le tracé cisaillé et fulgurant des éclairs, les quelques grondements cataclysmiques venus des cieux, l’humilité s’impose face à ces déchaînements.
23h20. Un levé programmé à 5h30 pour un retour ferroviaire à Lyon, en escomptant une ponctualité exemplaire pour compenser les 1h20 de retard à l’aller. Au total, un séjour très agréable qui m’ancre un peu plus dans cette famille.

Jeudi 17 juillet
10h40. Dans le TGV, alors que ma BB dort profondément et que je tente la lecture rapide du volume IX de Léautaud, attention requise par une très jolie maman et ses deux adorables enfants, bien qu’un peu bruyants par poussées. Cette petite famille a laissé le père sur le quai, nécessitant des forts et répétés « au r’voir papa ». Pour calmer les ardeurs du très jeune garçon et de sa grande sœur, elle leur diffuse sur un ordinateur portable quelques dessins animés (il me semble reconnaître Tom Sawers). L’effet attractif s’amorce pour quelques temps. En entendant les longs au revoir des personnages en direction d’un bateau qui s’éloigne, je reconnais la tonalité de voix utilisée par les deux marmots. Le tendre trio familial donnerait presque des envies de bébé… A suivre.

Samedi 19 juillet
Appel de mon père, cette semaine, pour m’informer que Jim et Aurélia ont vécu sur le terrain le terrible orage sur Biscarrosse, dans les Landes. Des premières vacances partagées agitées. Ayant senti sur la plage qu’un risque climatique s’annonçait, ils ont préféré l’hôtel au camping : une chambre miteuse à cent euros qu’ils ne paieront pas et abandonneront après une engueulade avec le directeur du lieu. Finalement, ils ont sympathisé avec un couple en caravane qui les ont invités pour la fin de leur séjour. L’inattendu, tant qu’il ne tourne pas au dramatique, comme pour les quelques dizaines de victimes (décédées ou blessées) de ces rugissements du ciel, épice favorablement les vacances.
Encore des recors de chaleur caniculaire à Lyon, et sur la France, aujourd’hui : 36 degrés à l’ombre ; sur le Tour, pour son centenaire et sa première étape pyrénéenne, on doit avoisiner les cinquante degrés sous l’astre. Le lac d’Aiguebelette cet après-midi, avec Elo et Ivan (ma BB travaille, sniff !), devrait compenser la touffeur ambiante.
Shaïna, dispensée de travail ce week-end, est privée de sortie après que son père ait appris l’existence d’un nouveau découvert bancaire. Elo me confirme qu’elle est incapable de vivre selon ses modestes moyens d’aide-soignante et multiplie les dépassements de budget, parfois très conséquents : jusqu’à sept cents euros.
Un peu plates mes interventions, la sérénité de vie ne nourrit pas la densité littéraire. Tant pis, restera l’élément factuel.

Dimanche 20 juillet,
18h30. Avec 31°7 dans mon antre, et un ciel bas qui menace d’orage, l’atmosphère lyonnaise étouffe. Ma BB rentre bientôt de sa journée de travail, et nous partagerons apéritif, repas au cidre et tendre soirée. Hier soir, en montant à l’aveugle chez elle comme je le fais dès qu’elle se lève tôt le lendemain, je l’aperçois étendue dans le sommeil avec une simple culotte blanche pour tout habit nocturne. Le moment de délice lorsque je m’allonge contre elle, humant sa fragrance, le nez dans sa longue chevelure, les mains parcourant sa cambrure ; et lorsque les songes s’annoncent, je me place sur le ventre, gardant dans la main gauche un bout de fesse charnue, comme pour m’assurer de sa présence.
Une chose s’affirme plus sûrement chaque jour passant : l’envie et la volonté de construire une vie avec ma BB.

Mardi 22 juillet
Edifiant documentaire sur le Dr Kissinger que j’avais sur cassette depuis quelques semaines. Si, par goût de la provocation, j’abonde ces derniers temps dans le pro-américanisme comme moindre mal pour la planète, il faut reconnaître la criminelle voyouserie de la politique étrangère américaine. L’idéologie communiste a certes engendré, par les dévoiements de son application, jusqu’à cent millions de morts, mais le chantre du capitalisme a laissé massacrer quelques millions de civils pour la sauvegarde de ses intérêts stratégiques. Finalement, le problème n’est pas dans l’idéologie, mais dans l’être humain qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions intellectuelles. Tout système sera l’occasion, pour les intelligences malfaisantes, de nuire à autrui pour servir leurs ambitions. Kissinger en est le parangon, mais parmi une liste incommensurable à travers l’histoire de l’humanité.

Samedi 26 juillet
Alors que ma BB s’occupe de son intérieur (ménage, repassage) je me suis fixé à l’ombre face au lac Tête d’Or pour avancer dans la relecture du volume X du père Léautaud. Une relative douceur dans cette canicule persistante, soulignée par d’épisodiques coups de vent qui animent et sonorisent les denses feuillages. A quatre jours de notre départ pour la Corse via Arles, Marseille et Nice, un courriel de Heïm dont l’objet spécifié ne laisse aucun doute sur le sujet du contact : « Gâchis ». Il m’annonce la parution pour avant le 15 août et me rappelle à nouveau le « boulot colossal qui a ralenti son travail de mise en page. » Si l’on ajoute un problème d’œil et sa grande difficulté à « rencontrer » Karl pour qu’il l’aide à finaliser le volume (entrevues qui seraient presque aussi rares que celles avec moi, depuis quelques années : l’allusion s’imposait !), je dois comprendre aisément le retard. A moins d’un nouvel impondérable, je devrais me lancer dans une rentrée promotionnelle pour tenter d’en vendre quelques exemplaires.
Heïm ajoute que s’atteler à publier un ouvrage qui traite d’un fiasco éditorial, alors qu’aujourd’hui les affaires vont très bien, lui fait une drôle d’impression. A moi aussi, mais pour de toutes autres raisons, cette période m’apparaît comme une préhistoire de mon existence. Combien je préfère, si modeste soit-elle, mon atmosphère de vie actuelle. Pas l’impression d’être rentré dans le rang, car je reste réfractaire au fonctionnement de notre société, que j’ai fait des choix qui visent à me soumettre le moins possible à ce système (refus de la conduite, d’une démarche carriériste) et à rester très sélectif dans mon relationnel amical. Plutôt le sentiment de m’être trouvé, dans un équilibre, certes précaire, qui ne repose que sur ma propre responsabilité, sans dépendances ingérables.

Comme à chaque fois depuis cette prise de distance par rapport à l’univers de Heïm, je réponds sans m’étendre, assurant le minimum affectif, mais évinçant tout épanchement qui pourrait donner prise à d’inutiles gloses. Je n’éprouve d’ailleurs aucun chagrin. Salutaire éloignement pour les deux parties, ce qui subsiste tient à une fidélité aux liens passés et à d’éventuelles accroches intellectuelles, littéraires. Rien de plus ne pourrait germer, cela relèverait du grotesque réchauffé, de l’artificiel inassumable pour moi. Quelques manifestations écrites par an, une rencontre quelques jours à titre exceptionnel, et de plus en plus espacée de la précédente si les mêmes monomanies cathartiques s’imposent chez les hôtes : voilà ce qui a succédé à l’intense complicité en premier acte et au névrotique rapport du deuxième acte.
Mercredi soir à Vienne avec ma BB pour le bonus night du festival de jazz : une Diane Reeves éblouissante dans ses scats improvisés, un Bobby Mc Ferrin aux vocalises stupéfiantes, mais qui s’est un peu économisé pour seulement une heure de concert.
A la lecture du Journal littéraire, s’ajoute, depuis hier, l’écoute des Entretiens avec Robert Mallet avec un œil sur le volume qui en a été tiré. Plaisir de l’avoir un peu vivant, au-delà de ses écrits, avec son inaltérable naturel qui résonne comme une modernité radiophonique face aux interventions empesées de l’époque.

Dimanche 27 juillet
Nuit infernale à suer de toute la tête, malgré les deux fenêtres ouvertes et la nudité intégrale. Ce midi, c’est au ciel de goutter un peu avec quelques sonorités grondantes. Espérons qu’il en émergera un semblant de fraîcheur.
Cette après-midi, nous devons rendre visite à Mme C, notamment pour lui rendre un panier d’osier prêté à notre dernière venue. Hier au tél, elle m’apprend que M.-P. est enceinte une deuxième fois, depuis peu. Par ailleurs, elle aurait quelques soucis professionnels. Heureux d’avoir des nouvelles par sa mère, mais je subodore qu’elle a mis de la distance depuis mes envois non appréciés (et mal interprétés) de courriels. Les parcours de vie opèrent leur sélection relationnelle : je ne vais sûrement pas m’acharner à restaurer un lien en perdition.


Mardi 29 juillet
Ai été m’informer des grandes tendances de mon planning à Forpro pour la rentrée prochaine. Il semble que l’activité se soit réduite au regard du nombre d’heures proposé. Il me faudra intensifier les cours particuliers ou dénicher d’autres collaborations sous peine de végéter financièrement.
Pour la deuxième fois, dans un petit coin charmant du parc, au début de la roseraie, un banc entouré d’une nature luxuriante et variée, avec une herbe épaisse fraîchement tondue, d’un vert éclatant ; on ne se figurerait pas en période de sécheresse. Peu de passages, lieu calme, en retrait, idéal pour quelques réflexions.
L’actualité rappelle l’inconscience égoïste de certains : la multiplication d’incendies infernaux dans plusieurs régions du sud, causées très probablement par des actes criminels plus ou moins volontaires, mais communément et tristement crétins. La guerre contre le feu, allié au vent, dévoreur d’une flore desséchée, a montré ses limites. Impossible lutte, avec des moyens dérisoires, face à l’ogre incendiaire.
Deuxième phénomène dénoncé par la cour des comptes : la surmédication des personnes âgées, avec une bonne part d’inutile, si ce n’est pour le confort psychologique. Déresponsabilisation, là encore, sans songer que ces comportements participent au déficit d’un système trop protecteur. Avec l’augmentation des vieillards, il va falloir un certain courage politique pour calmer l’hémorragie financière. Voilà deux domaines sans aucun lien, mais qui révèlent ce penchant à satisfaire ses désirs et ses prétendus besoins sans aucune considération du tout. Des Jean foutre à la pelle qui légitiment une sévérité accrue de la loi.
Appel de Karl pour savoir où il peut envoyer l’épreuve avant tirage du Gâchis ; il me demande également si je me rends à Royan cette année. Je lui confirme (car il devait déjà le savoir par sa mère) ma défection. Si Sally avait fait un effort pour apprécier ma BB, nous n’aurions pas hésité à revenir, mais là, l’incompatibilité est trop forte et le choix se fait sans hésitation. Je ne replongerai pas dans cette mécanique critique qui lamine le cœur de celle que j’ai choisie. Royan pour moi seul, si le planning estival le permet, sinon le lieu formera un autre pan de souvenirs.


Mercredi 30 juillet
Ma BB étendue nue à mes côtés, dans un sommeil réparateur pour ouvrir sa période de vacances, Fréquence Jazz en fond sonore, les vagues d’automobiles de la rue Garibaldi et les quelques passages rue Vauban comme faune urbaine, voilà le décor familier d’un soir ordinaire.
Prodigieuse mémoire du père Léautaud qui lui permet, à l’oral ou à l’écrit, de relater avec précision des anecdotes de vie, d’enrichir son propos de références précises, de citer de longs poèmes comme s’il les avait sous les yeux, bref de posséder un univers en lui-même. Si Artaud exposait à son éditeur son incapacité à former sa pensée, j’ai moi l’impression d’un vide mémoriel, d’une déperdition considérable de détails sur les choses vécues, ce qui simplifie d’autant les comptes-rendus effectués ici, d’une incapacité à retenir la masse de connaissances croisées… Toile cirée, mon existence, et surtout la conscience de cette vie. Cela expliquerait-il mon peu d’affectation par les changements fondamentaux dans ma trajectoire ? Le présent, ou l’art de se substituer à soi-même, impulserait l’essentiel de mes émotions sans trop s’attacher à l’antérieur. Un peu plus subtil dans les faits, mais sans jouer les Hanussen ( ?), cela préfigure une vieillesse extatique.
Ce matin, très curieux demi sommeil où la sensation cauchemardesque de ne pas avoir la faculté de membres déformés, de percevoir les choses plus grandes ou plus loin qu’elles ne le sont, autant de points qui formaient certaines de mes sombres contrées oniriques de mon enfance. Curieux rappel. Pas un gâtisme prématuré, j’espère.


Jeudi 31 juillet, bientôt 1h
Arles. De retour d’une agréable soirée à cinq (Romy et une de ses amies en hôtes du soir) où l’apéritif sur une place arlésienne s’est naturellement prolongée en dîner jusqu’à minuit.
Comme souvent, lors de ces entrevues, le nouvellement rebaptisé M.A.P.A. (Musée de l’Arles et de la Provence Antiques) capte l’essentiel des conversations. Occasion renouvelée de stigmatiser les incompétences épaisses d’une partie du personnel : un conservateur pour rire, imperméable à l’archéologie, concentrant son énergie pour se faire bien voir des pontes politiques et espérer un poste dans un ministère ; un responsable du service des publics aux idées fourmillantes, mais n’hésitant pas à jouer avec les êtres comme des pions sans importance ; une chargée de communication (recrutée par le précédent et désormais cornaquée par lui) inapte pour cette fonction d’initiatives et de globalisation de l’action, inconséquente jusqu’à désespérer ses collaboratrices subordonnées ; des services techniques tutoyant l’abus de bien social gratiné de fainéantise en double couche. Les portraits se succèdent et apparentent ce lieu à un musée des horreurs qui décourage inéluctablement les quelques bonnes volontés présentes. Terrible gâchis qui coûte quelques millions chaque année au Conseil général qui en a depuis peu la charge.
11h40. Ambiance des mouvements estivaux, destination Nice Ville sous un ciel demi laiteux. Aux places adjacentes, une mère et trois ados dont une donzelle élancées, au regard bleu vif et n’hésitant pas à exhiber son piercing au nombril : une main squelettique qui couvre la délicate anfractuosité charnelle. Que du plaisir visuel, donc !
Le vent annoncé, et ressenti lors de nos transits pédestres, augure le pire pour les embrasements en PACA. Notre trajet ferroviaire devrait nous dévoiler quelques sinistres paysages consumés. Le bicéphale exécutif a réclamé une extrême sévérité judiciaire pour les criminels du feu. Négligents ou volontaires, la poignée d’incendiaires ont traumatisé quelques dizaines de milliers de personnes et anéanti pour une décennie des contrées paradisiaques. Tout comme à l’extrême positif une minorité inventive apporte au monde pour qu’il vive mieux, au bout sombre de la voyouserie une mince frange suffit à parasiter le gros de la troupe humaine.

Aucun commentaire: