Sept. à Nov.

Mercredi 3 septembre
La reprise est légère pour moi, trop légère pour mes finances : douze heures hebdomadaires pendant ces quinze derniers jours, je passe, jusqu’en décembre, à huit heures rémunérées par semaine. Forpro a nettement diminué les heures d’enseignement allouées ; il me faut trouver des compléments… Inconscience ( ?), cela ne m’inquiète aucunement… j’aurais un enfant à charge, le ressenti changerait radicalement. Pour l’instant, cela me dégage du temps pour commencer l’analyse des citations sélectionnées dans le Journal de Léautaud.
Je relisais hier les courriels échangés ces derniers mois avec Heïm : ses promesses successives pour qu’une nouvelle fois je ne vois rien venir. Quelles que soient ses raisons, le silence à mon dernier message (pour son anniversaire) relève de la pignouferie affective. Impossible d’avoir avec lui un rapport sain et carré d’auteur à éditeur. Je comprends mieux qu’il ait centré son action, ces deux dernières décennies, sur la publication de feux écrivains…
Notre Président répond parfaitement au devoir de présence au nom de la nation : en hommage aux trois pompiers grillés dans leur véhicule lors d’un déplacement au sein d’un incendie de forêt, vers Cogolin ; en mémoire de la soixantaine de défunts par la canicule, non réclamés, abandonnés dans leur mort. Voilà bien deux travers gangrenant notre société : la satisfaction de ses plaisirs, même les plus criminels (du feu allumé au véhicule lancé à toute allure, le principe psychologique de l’actant s’apparente) ; et l’égoïsme exacerbé qui nie la vieillesse, la maladie grave de longue durée, tout ce qui assombrit sa propre existence, tout ce qui peut encombrer ou parasiter ses illusoires activités.

Samedi 6 septembre
8h30. Quiétude d’une matinée villageoise où le bruit automobile relève encore de l’exceptionnel. Séjour exprès à Fontès pour fêter demain les 91 ans de grand-mère. Couchés dans l’immense salle à manger du haut, où l’oncle Paul a installé un grand lit, deux tables de nuit et un paravent de bois, je me laisse imprégner par le silence, quasi inconnu dans la grande ville.
Ma BB tente de grignoter quelques minutes de sommeil après une nuit agitée de toussotements intempestifs. Nous devons consacrer l’essentiel de cette journée à la visite de Sète et à la plage pour une éventuelle dernière baignade cuvée 2003.
Ce matin doivent arriver l’oncle et Mariette : la période des vendanges commence. Nous égayerons un chouia la vie monotone de ma grand-mère qui souffre de plus en plus des jambes et dont chaque menu déplacement doit s’effectuer accrochée aux meubles, mains courantes, poignées et murs avoisinants. Elle qui « trottait » (selon son terme) toujours partout : cet immobilisme contraint influe prioritairement sur son psychisme assombri. En outre, une vue qui baisse et des lunettes inadaptées (elle traîne à prendre un rendez-vous chez l’ophtalmo) la prive de lectures jusqu’alors abondantes. Il ne lui reste donc plus grand à faire dans sa minuscule chambrée, hormis regarder la lucarne TV qui comble le vide.
Jeudi, reçu une carte postale d’Elo qui, à son tour, goûte les charmes corses dans une atmosphère plus douce, même si les incendiaires sévissent toujours. Elle nous demande de réserver les 20 et 21 septembre pour nos retrouvailles de rentrée avec découverte des photos respectives.
Eu hier Eddy au téléphone qui me confirme pendre sa crémaillère le 13 de ce mois avec sa chère Bonny et une soixantaine d’invités. Nécessité absolue d’un beau temps pour que le parc de la demeure puisse accueillir la troupe festive. Malheureusement, ma BB travaille ce samedi et ne pourra, au mieux, que faire un saut en soirée.
Les amitiés lyonnaises ne s’étiolent pas, donc.
22h45. Depuis le mou matelas de la chambre improvisée, je transcris les quelques faits notables du jour.
Côté perso. Une visite de Sète et la plage annulées suite à l’état nauséeux de ma BB. Journée calme à Fontès entre les passages à La Providence pour voir grand-mère, le farniente à la piscine de l’Evasion pour moi et le lit pour la malade. Le soir, un peu régénérée, ma BB m’invite pour une promenade improvisée dans les rues et ruelles : les lieux anciens ont été harmonieusement restaurés et la propreté règne. Une bien agréable mise en valeur du patrimoine immobilier. Comme amorce du parcours, passage devant la maisonnette qu’occupaient en vacances Denise (la sœur de grand-mère) et Jacques. Petit pincement nostalgique en me revoyant toujours heureux de les visiter : une douce atmosphère m’érigeant ce lieu comme un refuge enthousiasmant. Bien lointain souvenir surgit en vague émotionnelle.
Demain, arrivée de Paul et Mariette pour un déjeuner festif au Pré Saint-Jean de Pézenas.

Dimanche 7 septembre
Vers 11h. Côté international : une rentrée aux rebondissements éculés. La démission du Premier ministre palestinien confirme l’indéboulonnable terreur réciproque comme mode de gestion des désaccords territoriaux. Quand les relations de voisinage s’accordent sur la nécessité du sang de l’autre répandu, aucun fla-fla diplomatique ne peut faire accroire à une once de parcelle d’espoir : la feuille de déroute s’envole pour l’automnale saison.
Vers 23h. Enfin dans le nid Vauban, section deuxième, après un trajet sous des trombes d’eau tant attendues pour nos nappes phréatiques.

Repas chaleureux au Pré Saint-Jean de Pézenas : décor feutré, menu semi gastronomique aux saveurs originales et aux quantités bien dosées, un personnel aux petits soins et un rouge 95 du domaine d’Ormesson, le tout gracieusement offert par mon oncle. Grand-mère a pu profiter de cette rupture dans son monotone quotidien.
Le feu fol Lucien, issu d’une liaison entre grand-père et une femme mariée décédée pendant la guerre, et reconnu comme fils légitime par grand-mère, a laissé une situation juridique vaseuse sur le plan successoral. En faisant de son compagnon de lit australien son héritier intégral avec la pernicieuse volonté d’évincer sa mère du quart qui lui revient (un notaire véreux entérinant la falsification des papiers remplis) il pond la première fiente ; l’héritier, en faisant valoir ses droits sur la succession de grand-mère, mitonne la seconde, sans conscience que l’affaire risque de lui coûter très cher. L’oncle Paul consulte un avocat lundi : le conflit s’ouvrira pour quelques années.
Pitoyable Lucien qui n’aura honoré aucune de ses promesses et dont le seul présent posthume a la forme d’un entubeur australien… Avec ce qui devait le faire grimper aux rideaux, on peut saisir, mais sans l’excuser, la très suspecte sélection en guise de cadeau empoisonné. Merci Luc !

Mercredi 10 septembre, 1h15
Une rentrée qui d’un coup, avant-hier, juste avant d’aller écouter les notes hésitantes, mais généreuses, de Woody Hallen, prend un tour de charnière : ma jeune propriétaire m’annonce la mise en vente prochaine de mon lieu de vie. Dès réception du courrier officiel, six mois pour lever les amarres.
Rester enthousiaste malgré le discours alarmiste tenu par mes chers Jacquard et Sfeir dans C dans l’air d’Yves Calvi sur l’ombre mortifère de Ben Laden, l’icône terrifiante du XXIe siècle.

Jeudi 11 septembre
Dans le cœur avec les victimes de la barbarie extraordinaire d’une religion dévoyée. Choisir son camp sans tenter l’excuse tortillante qui légitimerait l’atroce. Aucun motif, aucune argumentation ne doit tenir face à ce qui se prépare encore dans l’ombre pour que, lorsqu’on y pensera le moins, une terreur encore plus magistrale nous prenne à la gorge. On ne raisonne pas avec des nihilistes sanguinaires prêts aux déchaînements chimiques, bactériologiques et peut-être même nucléaires. A ce jeu là, il sera trop tard pour échapper au massacre, à l’extermination systématisée. Choisir la première puissance, c’est reconnaître le camp de la civilisation même si, là comme ailleurs, les cadavres d’innocents abondent. Les perspectives offertes par l’hyperpuissance semblent infiniment plus vivables, parce que justement critiquables en son sein, que celles aboyées par les islamistes al qaïdiens.

Lundi 15 septembre, vers 1h
Joyeuse pendaison de crémaillère chez Eddy et Bonny à Messimy. Pour l’occasion, écriture sur l’air de Sur la route de Sans un doute interprété pour le couple. Sympathique journée et cadre rêvé.
Week-end de labeur pour ma BB, sans saillance autre pour moi. Petit appel d’Elo : à Arcachon avec Ivan, entrevue le week-end prochain.
M6 et TF1 en cœur pour traiter du tragique gâchis des destins
Trintignan-Cantat, et avant tout du crime commis par le chanteur de Noir Désir. Ignoble dérive impardonnable que cet acharnement à coups de poings bagués sur le visage si délicat et fragile de Marie. Le barbare a gagné celui qui se prétendait artiste sensible, à l’écoute des misères du monde : le voilà dévoilé en auteur de violences conjugales extrêmes, en batteur de femmes, d’une femme, sa passion. Et le motif ? Dérisoire : une méprisable jalousie mal placée. La belle Marie figurait dans ma bibliothèque par un ouvrage de photos consacré à Michel Jonasz, acquis lors de son spectacle Unis vers l’uni. La douce Marie a malheureusement rejoint trop tôt l’univers du néant par celui qui prétendait l’aimer.

Mercredi 17 septembre
L’émotion charnelle est à entretenir…
Première idée de ce qui pourrait nous être prêté pour l’achat d’un T4. Reste à comparer les propositions et à partir en recherche de l’appartement retenu.
Clôture du compte Histoire locale qui ne fonctionne évidemment plus depuis belle lurette. 
Une façon de m’écarter définitivement de Heïm and Cie. Aucune manifestation de leur part, manquement complet à leurs engagements : qu’ils aillent se faire foutre tous autant qu’ils sont. Désintérêt total désormais, si ce n’est comme sujet de défoulement.

Vendredi 19 septembre, 23h45
Appris ce soir par téléphone l’installation de maman et Jean dans leur nouvelle maison, réellement en campagne puisque les portables sont inutilisables ! Pour nous, au contraire, le cœur de Lyon s’impose et nous sied très bien.

Samedi 27 septembre
Un soleil automnal pour rompre l’ellipse temporelle. Côté relationnel, tout va bien : dîner samedi dernier avec Joëlle et son compagnon, déjeuner et après-midi le lendemain avec Elo et Ivan. Ces amitiés contribuent aussi à ma détermination de m’ancrer à Lyon.
Nouvelles de Shue : le couple a finalement opté pour Deauville comme lieu de résidence. Je devrais les revoir lors de mon passage à Paris, le 12 octobre.
Marianne m’informe de la suite de son tour du monde : depuis la Chine, elle s’inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles.

Moins enthousiasmant, un énième message de Heïm, peu compréhensible à l’enregistrement, mais dont je saisis l’essentiel des antiennes : ses difficultés à obtenir l’exécution des ordres donnés (ainsi le contrat d’édition que Monique doit m’envoyer depuis un an, mais « tu la connais… »), le travail incommensurable, les aléas de santé… Heureusement que ce rythme éditorial n’est pas celui adopté pour MVVF, sinon la prestigieuse collection compterait vaillamment trois titres et demi depuis quinze ans, et non les presque trois mille. Quelle bouffonnerie, ce projet !

Dimanche 5 octobre, 0h10
Découverte de quelques sordides arcanes de la politique extérieure française des années soixante-dix. Les Escadrons de la mort, selon le titre du documentaire, nés et perfectionnés lors de la guerre d’Algérie, ont inspiré une véritable école française de la terreur. Celle-ci a exporté ses savoirs barbares de la guerre révolutionnaire à une grande partie de l’Amérique latine. Le général Ossaresse confirme que les têtes politiques de l’époque (des ministres concernés au Premier d’entre eux, et jusqu’au Président) étaient nécessairement, au minimum, avertis, et plus certainement favorables à cette collaboration avec les plus dures dictatures afin qu’elle pérennisent leurs fondements.
Nouvel attentat sanglant en Israël, par un être sexué femelle (mais rien de féminin dans l’âme) qui s’est fait exploser dans un restaurant bondé : dix-neuf morts, dont des enfants. La rétorque israélienne ne tardera pas, et le bouclage des territoires palestiniens risque de rendre difficile le retour d’Aude, la grande amie de Louise, qui restaure des mosaïques à Gaza.

Vendredi 10 octobre
Ma BB sur le pont des urgences ce week-end, je rejoins pour trois jours Big Lutèce, l’âme plus lyonnaise que jamais.
Le dimanche, je dois retrouver, chez papa, Sally et Karl : j’avais hésité à leur révéler cette nouvelle phase d’existence. Finalement, la transparence des actes qui servent la construction du chemin choisi m’apparaît comme la plus éclatante démonstration du salutaire éloignement, en douceur, d’un univers en trompe l’œil. Rien à cacher, donc : communiquer mon enthousiasme, au contraire, et bien insuffler le message (pour Sally, notamment) que je n’admettrai aucune attaque ad hominem concernant ma BB. Shue et John me feront l’immense plaisir d’être également présents à cette réunion dominicale inédite pour mes 34 ans, centrée autour de l’affectif.
Ce soir, du musical fraternel vers la Bastille : Jim et Bruce réunis pour jouer dans un café parisien, une rareté à ne pas manquer. Maman, Jean, sa fille Candy et Aurélia présents.

Samedi 11 octobre, 2h30
Bien tard, mais il me faut fixer mes premières impressions sur la nouvelle demeure de maman et Jean à Saint-Crépin : charmé par les volumes, les poutres et l’apparence de fermette avec grange et dépendances. Des travaux multiples à effectuer sur une base séduisante. Une vraie campagne pour une douceur de vie.
Ce soir, Jim, Bruce et un batteur ont interprété quelques standards du jazz : Bruce au piano force le respect par sa dextérité autodidacte. Sa voie semble être vraiment celle de la musique. L’espoir paraît donc toujours possible.

Dimanche 12 octobre
Retour dans les limbes semi alcoolisées d’une après-midi effectivement très entourée. Shue et John adorables de gentillesse, Karl généreux et plein d’humour, Sally aux conversations très nourrissantes, papa et Anna en hôtes de choix, les petits frères appréciés de tous, et des présents m’obligeant à emprunter une grosse valise pour ramener le tout.
Plus déterminé encore pour cette construction avec ma BB, malgré les remugles mondiaux qui pourraient incliner au nihilisme. Tous ces gestes conjugués des proches affectifs qui laisseraient espérer une humanité en phase avec le meilleur de ses aspirations.

Mardi 14 octobre, minuit passé
Concert de Keziah Jones : agile en rapidité d’exécution, mais avare en retours sur scène après le temps réglementaire. Un public majoritairement assis, pour écouter ces frénésies musicales, a peut-être déçu l’artiste, se limitant alors au minimum.

Vendredi 17 octobre
La douceur de vivre avec ma BB me comble pour l’équilibre et la sérénité existentiels, mais me prive certainement d’inspirations littéraires. Je dois me tourner vers l’extérieur pour y puiser et exploiter des thèmes propices à l’indignation, à la fascination, et en sortir quelques lignes.
Ainsi la personnalité de Pierre Chanal, le disparu de Mourmelon comme le titrait l’émission d’Yves Calvi juste après son suicide « professionnellement » accompli. Cet enfermement absolu, cette fuite du relationnel, et la part d’ombre qui a coûté la vie, et a sans doute privé à jamais les familles en deuil des corps, à de jeunes hommes ayant croisé son chemin et son regard vide d’humanité. Ouaille d’une Armée qui a refusé des années durant d’admettre l’homo galeux en son sein, une justice et des services d’enquête tutoyant la criminelle incompétence, l’affaire s’achève selon la détermination de celui qui restera, légalement, présumé innocent. Un parcours effroyable, une froideur sans faille qui rendent bien ridicules des fulminations comme les miennes. Je conserve, heureusement pour mes proches, un penchant pour les êtres dans leur individualité qui m’interdit ce nihilisme pathologique.
Un rappel de l’inefficacité affligeante de la force publique, quelles que soient les gesticulations ministérielles : un tiers des condamnées à de la prison n’effectue pas sa peine. La parade sarkozienne (selon la tradition de son ministère et de celui de la Justice) se limite à l’arrestation et à la sentence rendue au nom du peuple français. Après, c’est le rideau glauque des lâchés dans la nature pour bien les inciter à ne pas répondre aux convocations judiciaires, c’est le petit jeu procédurier qui transmue le droit en une infecte caution des criminels aux dépens des victimes, c’est la bouffonne perturbation et remise en cause de la justice rendue par les grâces présidentielles...
Le vrai courage politique consisterait à supprimer les JAP et imposer que tout condamné à de la prison ferme soit incarcéré immédiatement, et non après des circonvolutions qui méprisent le droit bien plus légitime de la victime à être effectivement réparé dans son dramatique préjudice par la punition sans bavure du fautif. L’éthique présidentielle devrait commander d’arrêter cette mascarade annuelle des grâces, telles des carottes régaliennes qui reviennent à la négation de la justice rendue. L’individu n’a pas abandonné la justice personnelle pour ce type de système dévoyé !


Lundi 27 octobre
Un bon moment, hier soir, chez Jean-Luc (le frère d’Anna) et son amie Barbara en petite forme après l’abandon d’une formation en parfumerie, à l’origine de leur installation lyonnaise. Désillusion face au contenu de cet enseignement et au public rassemblé. Installés dans un bel immeuble cossu, ils ne semblent pas vouloir rester de longues années dans la Capitale des Gaules. Cela me blesse presque lorsque j’entends des critiques sur cette ville qui m’a accueilli pour une étape tellement plus douce de mon existence.
Quelques manifestations téléphoniques, plus ou moins inattendues : Elo qui veut quitter son école de comptabilité suite, là aussi, à une déception sur les contenus pédagogiques ; Sally qui voulait m’inviter, lors de notre prochain passage à Paris, pour un déjeuner chez Suzelle ; Heïm, juste avant un de mes cours particuliers, pour une prise de rendez-vous téléphonique au lendemain, restée lettre-morte. Les manifestations sporadiques de Heïm (la dernière probablement provoquée par sa mise au courant par Karl que j’allais devenir propriétaire) ne me touchent plus. Je me sens totalement étranger à son univers, sans aucune envie d’avoir des nouvelles, ni moins encore de le visiter. Cet équilibre lyonnais m’a sans doute définitivement vacciné de tout regret envers ce monde idéalisé durant presque trente ans. Seules des relations duales, avec Karl notamment, pourront subsister. Même avec Sally la distance est en marche : à chaque entrevue d’inacceptables sous-entendus (la perfidie féminine) sur celle que j’ai choisie. Je devrai, un jour ou l’autre, recadrer les choses en posant comme condition à toute poursuite relationnelle la cessation de cette vase allusive. Relations qui se clairsemeront de fait puisqu’il est exclu que j’incite ma BB à m’accompagner. La hiérarchie s’impose naturellement : je ne verrai Sally que lorsque l’absence de ma dulcinée me le permettra. Mon existence s’affirme, depuis plusieurs années, ailleurs que dans ces rogatons de pressions pseudo affectives. Mon engagement pour BB doit au moins équivaloir en détermination (d’autant plus qu’il s’affirme dans la sérénité) celui de la défunte adhésion pour le monde de Heïm. Si je n’éprouve plus un iota de penchant pour cet univers, est-ce parce que je suis devenu un monstre insensible ou parce que l’épuisement réciproque a été tel que rien ne peut faire renaître chez moi une amertume, un regret, une envie ?


Mardi 28 octobre, vers 0h30
De retour du complexe cinémas de Brignais, seul endroit de la région pour voir Elephant en version française. Grande déception face au navet palmé : des longueurs qui se voudraient porteuses de subtilités, mais qui ne sont que des longueurs ; un volontaire retrait du cinéaste qui affadit le tout. Un film à la façon d’un terne documentaire. Le dernier quart d’heure centré sur le massacre, perpétré par les deux déjantés, ne parvient même pas à captiver. Pour le reste, une journée ordinaire filmée sans relief.

Dimanche 9 novembre
Nous laissons Saint-Crépin pour retrouver Rueil.
Hier, grosse journée physique pour Jean, Jim et moi : début d’évacuation avec tri des briques du mur effondré côté voisin. Extraire, gratter, transporter : mon corps a perdu l’habitude de ces efforts sur longue durée et d’un séjour prolongé en extérieur par fraîche température. Résultats : mains et poignets endoloris (la forme calligraphique s’en ressent), joues et lèvres irritées, mais un bien-être de participer à la réfection de ce doux lieu.

Mardi 11 novembre
Avec comme Q.G. le bel appartement de Sonia (qui rentre ce soir) nous découvrons quelques expositions : de Delacroix à Matisse, dessins en provenance du Musée des Beaux Arts d’Alger, au Louvres, et Cocteau sur le fil du siècle au centre Pompidou. Les ébauches en vue de tableaux futurs ont parfois plus de charme, avec les imperfections de l’artiste qui cherche, que l’œuvre finale. Chez Cocteau, les multiples angles de la créativité sont densément dévoilés, passant sur les actes opportunistes moins reluisants. Parmi ses envois pour l’une de ses œuvres, une enveloppe à l’attention de Léautaud avec un petit ajout en haut de l’enveloppe rappelant, sous forme d’hommage, sa haine de la guerre et son affection pour les animaux.
Hier soir, retour au Café bleu (dont les travaux de peinture vont bientôt le rendre saumon !) pour entendre jouer Bruce au piano, Jim à la guitare et une accointance à la basse : des standards de jazz loin d’être défigurés par l’interprétation.
Ce matin, avec ma BB, exposition Doisneau, puis sur Cuba, et peut-être une visite commentée des Catacombes pour le début d’après-midi. A seize heures, rendez-vous chez Aurore G., porte des Lilas, dont le petit a un an.


Lundi 17 novembre
L’affaire des frégates vendues à Taiwan surpasserait de très loin le dossier Elf que la justice vient de refermer. Le secret défense, réitéré par les politiques de gauche ou de droite pour dissimuler de gigantesques détournements de fonds, voilerait aussi quelques éliminations de témoins gênants. Les terreurs hirsutes de Sergio Leone paraissent bien fadasses à côté de la crapulerie de ces cols blancs.

Mardi 18 novembre
Finalement, au risque de me ridiculiser ou de passer pour un défaitiste, un fainéant ou que sais-je encore, je ne ferai pas de thèse.
Je ruminais cela depuis quelques mois, et le déjeuner au Convivium avec ma BB et Shue a provoqué l’expression de cet abandon. Ma chère amie thésarde m’a avoué le regret qu’elle avait d’avoir passé autant de temps sur ce travail dont la récompense universitaire ne lui sert strictement à rien socialement. Certes, cela fait bien et ceux qui en sont informés vous considèrent avec un certain respect, mais rien de plus qu’une flatterie pour l’égo.
Ma détermination à ne pas intégrer le mammouth public de l’enseignement secondaire, l’impossibilité d’embrasser durablement l’université de son choix sans agrégation, la signature d’un CDI (même à temps partiel) avec Forpro, la perspective du remboursement du prêt immobilier (nous signons vendredi prochain) et l’éventuelle monopolisation existentielle par un nourrisson : tous ces facteurs me détournent naturellement du projet égoïste de thèse. La motivation n’y est vraiment plus.
En revanche, rien n’anéantit l’idée d’un écrit sur le genre du journal, via celui de Léautaud. Cela se fera au rythme des plages de temps libre (comme la tenue de celui-ci) et en fonction de l’envie et de l’inspiration. Voilà dont tournée la page universitaire ouverte en septembre 1988 avec de nombreuses ellipses et quelques changements de trajectoire. Tournée, à moins que la retraite me ramène à ce projet… Le temps de voir venir, donc.
Appel d’Elo pour m’informer du malaise, peut-être cardiaque, de sa maman hospitalisée hier. J’espère que rien de grave ne sera décelé.

Lundi 24 novembre
Le gouvernement ressort son ventre mou face aux protestations catégorielles : quelques grappes d’étudiants pour que Ferry face passer à la trappe son projet de réforme ; quelques indécentes gueulantes de buralistes souhaitant la reprise de la consommation de tabac pour qu’une batterie de mesures financières ne parviennent pas à les calmer. Un porte-parole de cette profession fixe l’ultimatum avant toute négociation : accepter sans condition leur principale revendication (annulation de la hausse programmée pour janvier) et ils pourront discuter... de l’air du temps sans doute ! Voilà une très démocratique conception du compromis.
L’objectif restant la baisse de la consommation, cette profession devra se reconvertir à autre chose ou trouver d’autres ouvertures à son activité. Quelle politique de santé publique pourrait prôner une baisse des tarifs, ou l’arrêt des campagnes anti-tabac pour le simple et criminel confort financier de ces charognards légaux !
L’alcool ! rétorque-t-on, pourquoi ne pas être aussi sévère avec ce produit. Parce que la dépendance au tabac est quasi systématique et qu’une seule cigarette quotidienne reste nocive pour la santé. L’alcoolisme est une dérive extrême, mais un petit consommateur occasionnel ne risque aucune accoutumance, et cela peut même être bénéfique (pour la microcirculation, par exemple). Le tabac est une saloperie en soi, l’alcool devient dangereux pour les salauds de pochtron : une différence essentielle.


Mercredi 26 novembre, minuit dépassé
Toujours dans Les plats de saison de Revel, quand l’intelligence et la clarté percutantes atteignent les sommets. Sitôt achevés cet mets littéraires, je me prépare une plongée dans d’autres de ses œuvres réunis par la collection Bouquins et qui s’empoussièrent depuis plusieurs années dans ma bibliothèque.
Vu le premier volet de 1900, à la gloire du communisme via l’Italie : fresque ennuyeuse et à parti pris caricatural. Sorti en 1976, en pleine indulgence pour la terreur rouge dans les milieux gauchistes du bloc de l’Ouest. Qu’il aurait fallu leur faire renifler du miséreux russe, de l’intellectuel bulgare traqué et de tous ces peuples spoliés et massacrés par cette si généreuse idéologie. Le passé d’une illusion et Le livre noir du communisme retiendront bientôt mon attention…

Vendredi 28 novembre
L’amalgame beuglé par l’opposition comme un scandale de régression des droits de la femme.
Les faits : un projet de loi voulant ouvrir un droit à réparation à la femme ayant subi, par la négligence ou la maladresse d’un tiers, une interruption INVOLONTAIRE de grossesse. Le cas exemplaire : un accident de voiture qui fait perdre son foetus à la femme enceinte, drame ignoré par la loi actuellement. Le projet vise ce type de cas et c’est tout ! Sitôt proposé dans l’hémicycle, les idéologues baveux hurlent à la tentative pernicieuse d’atteinte à l’IVG. L’ânerie est reprise par les médias, sans toujours expliquer la réalité de la règle proposée. Vraie injustice pour le député à l’origine du texte qui ne souhaite que protéger et garantir la femme enceinte dans la légitimité défendable de son état face à des agresseurs (involontaires) possibles. Les féministes d’arrière-garde et l’opposition malhonnête préfèrent qu’on laisse crever dans l’indifférence les progénitures perdues contre le gré de celles qui souhaitaient devenir maman. Curieuse conception de l’humanité de ces agitateurs dont le tour de passe-passe sémantique, bien que sans subtilité, a fait illusion.

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